L'émission "blues"
de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST
Mo, peux-tu me dire comment t’es venue l’idée d’enregistrer «Dispatches From The Moon», ton dernier album en date (paru en octobre 2009 et distribué, en Europe, par le label Dixiefrog) ?
Cet album est pour moi le quatrième volet d’un cycle (après «Blues Is My Wailin’ Wall» 1999, «Red, White & Blues» 2002 et «Redneck Blues» 2009) qui sera, au total, constitué de 12 opus consacrés au blues. Le résultat final formera une voyage initiatique, une véritable Odyssée à travers l’histoire de cette musique, de ceux qui l’a font et du paysage politico-culturel qui nous entoure.
Sur ce disque je m’exprime avec un certain recul et en toute objectivité, comme si je me situais sur la lune.
C’est pour me permettre cela que j’ai eu l’idée d’enregistrer «Dispatches From The Moon».
Quel en est le concept exact ?
Le concept est de rendre compte de l’évolution de la terre en la voyant depuis la lune. D’y voir les problèmes qui touchent les humains. Je parle ainsi de l’Afrique avec «Africana Blues», de l’Europe avec «Continental Blues», des USA avec «Political Science Fiction»…
J’évoque tous les maux qui hantent la terre et que je vois depuis mon poste d’observation lunaire.
La terre est bleue (blue en anglais, nda) et elle est ravagée par des maux, des blues de toutes sortes…
Ainsi j’y aborde de nombreux thèmes comme le racisme, le sexisme, la lutte des classes, les guerres, l’écologie, la pollution etc…
C’est un peu un «signal d’alarme», j’essaye de prévenir les gens avec les seuls moyens dont je dispose. Je dis «Stop, c’est notre planète, nous vivons tous dessus… faisons en sorte de la préserver».
Quelles sont, à ton avis, les différences notables entre les blues ressentis par les différentes ethnies qui constituent la population de notre planète ?
Il y a pas vraiment de différence dans la douleur…
Il y a des composantes (comme l’exploitation, l’avidité, le pouvoir et l’argent) qui, par contre, font s’accroître des différences entre les gens.
Pourtant, tout le monde est pareil. Quelque soit l’endroit où nous nous trouvons, nous sommes tous constitués de la même manière. Nous mourrons tous un jour… que nous soyons européens, africains ou américains…
Nous avons tous des préoccupations qui nous sont propres et qui constituent nos blues. Qu’il s’agisse de la mort, de finances etc…
Dans la chanson « All The World’s Problem (Can Be Solved In A Bar) » je dis ceci : « All the world’s problems can be solved in a bar/When I sober up things are as bad as they are/So I keep on printing no I ain’t goin’ far/’Cause all the worlds problèms can be solved in a bar …».
Cela pour dire que la vérité sort des bars quand les gens se saoulent. Si tous les présidents de la planète se rassemblaient et buvaient exagérément ensemble, ils se rendraient compte que leurs égos respectifs sont la cause de bien des bêtises…
Il n’y a pas de différences entre nous tous. Si tu es sur la lune, tu n’en remarques aucune… Tu ne vois que des humains… ce sont tous des personnes identiques.
On pense qu’il y a des différences mais, en fait, il n’y en a pas…
Au moment de la sortie du disque, tu faisais souvent référence à une chanson d’Howlin’ Wolf intitulée «Coon On The Moon». Pourquoi ne l’as-tu pas reprise sur le disque ?
Cette chanson qui évoquait, pour les afro-américains, l’espoir de voir un jour un homme de couleur marcher sur la lune faisait aussi référence au fait que, plus tard, un homme noir prendrait peut être la tête de l’état… et s’installerait à la Maison Blanche. Elle était donc très prophétique…
J’aime beaucoup la musique d’Howlin’ Wolf et particulièrement l’album «The Back Door Wolf» (paru en 1973, nda) sur lequel se trouve ce morceau. Il y évoque des choses dont je parle aussi sur «Dispatches From The Moon».
Quand tu prépares un album tel que celui-ci, considères-tu mener un travail proche du journalisme d’investigation ?
J’effectue toujours d’importantes recherches avant de préparer un nouveau disque. Je construis mes morceaux après avoir beaucoup lu les journaux et écouté la radio. J’essaye de savoir tout ce qui se passe à travers le monde…
Je qualifie mes chansons de «nu bluez» car je traite de sujets contemporains à notre société. Je n’y évoque pas les champs de coton mais plutôt les guerres en Afrique…
Que ce soit dans ton art ou dans ta vie quotidienne, te sens-tu très inspiré par certains écrivains, poètes ou philosophes ?
Je suis inspirée par des gens comme August Wilson (écrivain américain, 1945-2005, ayant obtenu le Prix Pulitzer pour «Barrières» et «la Leçon De Piano», il a beaucoup écrit sur les conditions des noirs en Amérique au 20ème siècle, nda). Peu de temps avant sa mort, il m’avait contacté pour me dire qu’il aimait beaucoup mes chansons.
J’adore le langage qu’il utilisait…
Je suis toujours à l’écoute de nombreux poètes américains qui parlent des conditions humaines…
Jean-Paul Sartre m’inspire également, on peut retrouver sa touche dans la manière je construis mon blues…
Pour toi, les artistes doivent-ils nécessairement avoir une conscience politique ?
En ce qui me concerne, je ne me vois pas faire autrement…
Je ne veux pas tomber dans les clichés et parler de thèmes qui reviennent souvent comme l’alcool, les femmes etc…
Ces stéréotypes ne m’intéressent pas, je veux me consacrer au «nu bluez»… à ce qui se passe en Amérique actuellement. Un homme de couleur est président des Etats-Unis et c’est formidable… mais il y a également des millions de noirs qui croupissent dans des cellules… ça aussi c’est le blues !
Penses-tu qu’il soit «plus facile» d’être un afro-américain depuis l’élection de Barack Obama ?
Son élection a changé la donne. Grâce à lui les Etats-Unis semblent évoluer et grandir…
Je suis fier que mon pays soit gouverné par un noir….
Qui aurait pu penser que quelqu’un du nom d’Obama puisse diriger les USA. C’est un peu comme si un politicien prénommé Mohamed devenait Président de la République française…
Aujourd’hui, les gens peuvent apprendre des américains..
Il reste, bien sûr, des zones d’ombre… tout n’a pas changé du jour au lendemain. La pauvreté est le centre de tous les problèmes. Si tu es riche et que ton nom est Oprah Winfrey (personnalité afro-américaine, très connue pour son talk-show «The Oprah Winfrey Show» elle est aussi la seule milliardaire noire dans le monde, nda) tu n’auras jamais de problème.
Les soucis actuels sont plus liés aux différentes classes sociales qu’au racisme en lui-même.
Si tu es noir et, surtout, pauvre tu seras toujours mal vu.
Je suis né pauvre, j’ai eu la chance d’avoir une bonne éducation scolaire et j’ai, aujourd’hui, une bonne situation. De ce fait je sens plus de respect vis-à-vis de moi que si j’étais pauvre et blanc.
Actuellement, c’est l’argent qui fixe les règles du jeu. C’est «money, money, money…» !
Toi qui voyages beaucoup et viens régulièrement en France. Que penses-tu de la vie politique dans ce pays ?
Pour moi la France est un pays superbe. Les gens y aiment ma musique et le blues en général.
Il faut savoir que le premier magazine de jazz de l’histoire est français…
Je constate qu’il y a encore de sérieux problèmes d’intégration ici. Le monde entier en a été le témoin il y a quelques années lors des émeutes dans les banlieues. Un grand travail est encore à effectuer à ce niveau. C’est dans les banlieues françaises qu’il y a, je pense, la plus forte concentration de gens portant le blues en eux…
Je pense que, comme beaucoup d’autres artistes américains, tu apprécies particulièrement le public français ?
Le public européen a une approche plus sophistiqué du blues par rapport au public américain, spécialement en France.
Les gens écoutent avec leurs cœurs. Ce n’est pas une question de langage car ils ne comprennent pas forcément l’anglais. Ils ressentent les vibrations…
Le blues n’est pas une question d’anglais, c’est une question de cœur…
Je suis touché par l’appréciation des gens vis-à-vis de ma musique ici. Cette dernière est beaucoup plus controversée aux USA en raison de son engagement et de mes prises de position.
Tu pourrais écrire un livre… Cette idée te « trotte-t-elle » dans la tête ?
C’est, justement, ce que j’ai fait..
Il se nomme «Le blues comme musique métaphysique (sa musicalité et ses soutiens ontologiques)» (thèse de sa maîtrise en Sciences Humaines, nda). Il devrait être publié l’année prochaine.
Quels sont les espoirs que tu places en l’humanité pour l’avenir ?
Que le mot liberté retrouve toutes ses lettres de noblesse. Il y a encore trop de corruption et de dictateurs tout autour de cette terre.
Les américains soutiennent le Président Hosni Moubarak (Chef d’état égyptien, nda) depuis 30 ans en lui versant deux millions de dollars chaque année. Tout cela parce que son prédécesseur, Anouar el-Sadate (1918-1981, Président de 1970 jusqu’à son assassinat, nda), avait signé un accord de paix avec Israël. Quand on constate le niveau de vie du peuple égyptien, on peut se poser des question… sans parler de tous les gens qui ont été mis en prison…
Quand on a la chance de vivre libre et heureux, il ne faut pas perdre de vue la misère qui nous entoure. Nous sommes les autres, il est important pour tous d’être solidaire et de rester attentif à la déclaration des Droits de l’homme.
Quel message aimerais-tu transmettre à tous ces jeunes qui viennent de se soulever en Egypte ou en Tunisie ?
Je leur conseillerais de profiter du mouvement hip-hop pour revendiquer leurs droits et contester. Le hip-hop est la nouvelle forme du blues. Il peut devenir un excellent moyen de communication afin de faire part de ses problèmes et de ses espoirs. Il faut voir naître un hip-hop africain, un hip-hop égyptien, et, pourquoi pas, un hip-hop turc en Allemagne, un hip-hop afghan en France…
Ainsi la musique sera toujours plus forte que tous les conflits de races ou de classes. Du vrai blues au «nu bluez», il faut que l’art nous fasse réaliser que nous sommes toutes et tous frères et sœurs ! «Yes we can» comme pourrait le dire Obama…
Quels sont tes projets musicaux ?
Je vais me rendre dans le Mississippi…
J’ai senti « l’appel du sang » de Muddy Waters et je vais enregistrer mon prochain album (qui pourrait se nommer « Mud & Blood ») à Clarksdale, près de sa ville natale de Rolling Fork.
Je vais revenir à un style très «Mississippi blues» !
Le fils de R.L. Burnside jouera sur le disque ainsi que celui de Junior Kimbrough.
Il y aura un mélange de titres acoustiques et électriques. Je les traiterai à ma façon en y ajoutant des textes qui parlent de notre société. Je vais essayer de prouver que le «nu bluez» est une musique du Mississippi. Il vient du sud et c’est avec lui que je vais y retourner. C’est notre berceau et il continue de m’inspirer.
As-tu autre chose à ajouter ?
Je suis content d’être en France actuellement et apprécie le fait que les français soient sensibles à mon blues. Le blues est la vérité…
Le premier magazine de jazz de l’histoire est français, le deuxième magazine de blues de l’histoire est français…
Je sais que le blues est vivant et en bonne santé ici, merci beaucoup !